Veteran of Art
Renaud Loba
08-10 - 29.10.16

Recroquevillé sur le canapé-lit de son minuscule studio qu’il partage en collocation, un vétéran de l’art cogite. Une puanteur méphitique émanant de sa vieille paire de tennis emplit tout l’espace. Il n’en peut plus de tout ça. Sa moue cache ses incisives jaunies par de l’American Spirit cessant pour un court instant de claquer. Impossible de retourner sur le champ de bataille. Peu de traces du conflit sont visibles. L’avant-garde en tête de la première ligne d’infanterie a disparue. À force de piétiner, d’occuper timidement sa position, elle semble avoir été vaporisée par le feu des batteries ennemies. Comme si elle n’avait jamais existé. Au milieu des fils barbelés ne restent que quelques douilles et quelques cannettes de bière bon marché jonchant le sol boueux. Dans les rizières, les pertes sont lourdes, surtout des jeunes, éternelle chair à canon. Les nombreux blessés resteront sur place, livrés à eux-mêmes. Les plus faibles pourriront dans les tranchées et auront les orbites dévorées par les corbeaux. Les plus chanceux, ceux de bonne famille, seront soignés et bien nourris. Certains s’en tireront. Seront épargnés uniquement les fins renards, les mercenaires les plus endurcis, ceux qui connaissent sur le bout des doigts les techniques de guérilla urbaine ainsi que le fameux traité militaire de Sun Tzu, L’art de la guerre.

Sa misérable solde s’est malheureusement bien vite volatilisée. Un jerrican d’essence pour se rendre au front, une ration ou deux de pâtes, de quoi tenir encore deux ou trois jours tout au plus. Même si on manque cruellement de tout là-bas, une certitude : la gnôle coule à flot. L’antidote à cette maudite pression. Un Dafalgan 1g ou une solide dose d’Aspegic 1000 feront sûrement passer son mal de tête carabiné, mais pas sa profonde fatigue et encore moins son stress post-traumatique. Ses tremblements reprennent. Les idées farfelues surgissent du néant et chassent sans ménagement un sommeil superficiel. Impossible de se reposer, d’oublier toutes ces images, ces maudits vernissages. Pourtant, il faut prendre des forces pour se reconstruire afin se sortir de ce bourbier et envisager enfin une reconversion, un futur. Un frigo plein.

ALL GAVE SOME SOME GAVE ALL