Usure Presse I

Avec les interventions de :
Roxane Bovet, Lucas Cantori, Emmathegreat, Kokhlias, Camille Lacroix, Dan Lie, Marion Neumann, Noemi Niederhauser, Barbara Meuli, Stefan Tiron, Yanique Norman et Jonas Van

Design graphique: Rebecca Metzger & Pauline Piguet

infos et commandes:
usurepresse.ch

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Usure Presse est apparue à plusieurs reprises, porté différents noms, pris des formes multiples. Elle aurait pu ne jamais voir le jour qu’elle aurait vécu, filamenteuse et souterraine. Elle était là depuis longtemps, tissant son réseau, s’immisçant dans les discussions et nourrissant notre imagination, avant de se matérialiser et paraître pour la première fois, sous la forme de cette revue.

Mycélienne par tempérament, Usure Presse ne pouvait qu’ouvrir sur un numéro consacré aux champignons. Dans la forêt, la tête pointée vers le bas, cherchant à les voir, les sentir, se surprenant même parfois à leur parler. Quand ils se cachent, ou au contraire semblent attendre notre arrivée, provoquer presque la rencontre. Ce rapport étrange, cette énergie tangible. Et notre désir de mieux les connaitre, les identifier, les comprendre de plus en plus, les cueillir de moins en moins. Contaminer et se faire contaminer, faire partie d'un réseau au filet invisible et solide, la capacité de créer, de collaborer, de détruire, de dépolluer, les questions de comestibilité, de savoir qui mange qui à la fin – autant de pistes pour conspirer selon d’autres modes, à hauteur de champignons.

L’élaboration de ce numéro repose sur toute une série de lectures : le livre d’Anna Lowenhaupt Tsing – Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme – a par exemple beaucoup participé à créer des connexions, en montrant comment parler depuis la marge, comment comprendre certains des mécanismes vicieux qui font le capitalisme, être attenti·x·ve·f·s à ce qui se passe autour de nous à travers l’observation, nous rendre curieu·x·se·s à d’autres points de vue. Mais c’est également à travers des questionnements plus spécifiques, à l’image du texte « Nous sommes tout·e·s du lichen » d’Olga Potot, qui questionne les méthodes et les acquis des sciences biologiques à travers le prisme du féminisme trans-inclusif, ou « The Poisonous Mushroom as Uncanny Symbol of Queer Reclamation », de Nicki Green, retranscrivant des discussions entre plusieurs individu·x·e·s autour de « l'inquiétante étrangeté » mycologique, que le substrat à partir duquel ce numéro a pu voir le jour s’est ameubli, favorisant ainsi sa lente apparition.

Au moment de lancer les invitations à participer à la revue, toutes ces pistes, toutes ces bribes de réflexions filandreuses et spéculatives germaient quelque part dans nos esprits. Mais notre envie a surtout été celle de montrer les relations toutes personnelles que les auteur·x·ice·s invité·x·e·s entretiennent avec le motif du champignon, en mettant ces textes, ces images et ces sons côte à côte, et dans une temporalité différente de celle de l’exposition ou de la webradio – deux autres supports qui fondent l’espace d’art Urgent Paradise. En plus de ces diverses propositions, nous avons également voulu (re)donner à lire dans Usure Presse un texte publié il y a quelques mois dans la revue Burnaway, sous le titre « Mood Ring: Notes on Black Fungibility ». Son auteure, l’artiste étasunienne Yanique Norman, en propose ici une republication augmentée d’une « introduction pandémique » et d’une nouvelle sélection d’images. Détournant la notion de Black fungibility  – concept critique développé en particulier par la chercheuse Saidiya Hartman, fondé sur le mot « fongible » et visant donc la dénonciation des pratiques racistes et coloniales de réification des corps des individu·x·e·s noir·x·e·s –, Yanique Norman y propose une nouvelle acception du terme basée cette fois sur la racine « fungus » (champignon), en partant du contexte qui est le sien, aujourd’hui, aux États-Unis.

Ni totalement comestible, ni totalement vénéneux, ni totalement l'un, ni totalement l'autre. D'une vulnérabilité et d’une force infinies. Attirant et repoussant à la fois, hors dichotomie végétale ou animale, le champignon semble ouvrir une troisième voie, fongique et mystérieuse, nous permettant de sortir des cases binaires en béton armé, et de construire des relations au monde multiples, grouillantes, ambiguës, complexes, parfois incohérentes, riches, joyeuses et vivantes.

Usure Presse est la revue de l’espace d’art Urgent Paradise.

Elle est indépendante, libre, et paraît quand bon lui semble.

Bonne lecture!

Myriam et Ascanio pour Usure Presse

X: En accordant avec x, nous choisissons de suivre des pratiques de l’écriture inclusive permettant d’incorporer les identités trans, queer, non binaires afin de transformer le langage discriminatoire.