The Invisible Pixel : Perspectives
Yuki Higashino
curation par Adeena Mey
26.01 - 28.01.18

Quel type de relation avec l'histoire de l'art un artiste entretient-il? Chez Yuki Higashino, cette question traverse presque tous les niveaux de sa production. En effet, histoire de l'art et de l'architecture, tout comme leurs fondements idéologiques, apparaissent à l’artiste comme une économie de signes et de matériaux dans laquelle il puise pour ses investigations généalogiques. Cette méthodologie conduit généralement à une redéfinition et à une relecture radicale des phénomènes historiques que l’artiste peut être amené à choisir comme point de départ d'une œuvre. Higashino est souvent associé à une tendance récente du post-conceptualisme caractérisée par cet élan généalogique, sans tomber pour autant dans une forme de contemplation nostalgique, ni à la pulsion nécrophilique de certains artistes revisitant le passé. Car si les gestes de Higashino permettent de déstabiliser leur objet, c’est toujours pour parvenir à le réassembler. Ainsi qu’à l’« étrangéifier ».

En effet, dans la série d'œuvres intitulée Reisewolf (2013-en cours), le modernisme architectural est habité par des loups, métaphores de la propre position de l'artiste au sein de ces généalogies de pratiques artistiques critiques et « appropriationnistes », réalisées sous forme de photographies produites sans appareil que Man Ray nommait Rayographies. Dans The Poundbury Horror (2014-16), la répudiation réactionnaire du Prince Charles à l’égard de l'architecture moderniste que représente la ville de Poundbury, devient – à travers un procédé de fictionnalisation sobre – le terrain où se déploie un réalisme lovecraftien incarné sous forme urbanistique. Dans le cadre de sa série Free Enterprise Painting (2015-en cours) les couleurs des peintures abstraites trouvées sur Internet sont triées selon un système chromatique (CMYK), puis redistribuées et «repeintes» sur quatre différentes plaques de plexiglas. Ici, le motif de l'abstraction, caractérisé par la tension entre un geste pictural héroïque et la résistance face à la toile, ce qui jadis désignait la présence d'une subjectivité artistique et d’une matérialité - sans parler de l’omniprésence de ces peintures sur le marché de l’art - est traité en tant qu’information manipulable. Dès lors, pour Higashino, l’histoire – toujours teintée idéologiquement – devient en quelque sorte un canevas d'artefacts, de signifiants, de matériaux et de techniques dont les recombinaisons permettent de révéler son côté obscure ou de la relier à ce qui en elle relèverait de l’effroi. Que l'artiste choisisse de travailler à travers l'installation, la performance, la peinture ou la vidéo dépend des figures ou des situations artistiques qu'il investigue, et dont les dimensions conceptuelles, formelles et sociopolitiques sont disséquées pour être réactualisés aux côtés d’éléments sombres ou abjectes qui, de prime abord, leur étaient étrangères.

Pour l’intervention de Higashino dans le cadre de la série Invisible Pixel d'Urgent Paradise, dédiée aux problèmes de présentation et de curation de l'image en mouvement, The Poundbury Horror est projeté à des heures fixes, suivant les conventions du dispositif cinématographique. Les plages horaires supplémentaires et les intermèdes au cours desquels le public est "libéré" de l'expérience de visionnement laissent la place à deux travaux issus de la série Free Enterprise Painting, le dispositif de Perspectives expérimentant différentes formes de déroulements temporels. Si cette situation hybride de projection/exposition fait référence à la distinction entre le black box (le cinéma) et le white cube (l’espace d’art), ça n’est qu’en tant que format historiques qui, à l’instar de la pratique de Higashino, ne sont pas simplement des structures neutres. Au contraire, elles nécessitent d’être recombinées et d’être remises en perspective.

Adeena Mey (traduit de l’anglais par Kim Yeong Bul)

Photographies: Yuki Higashino